FN a Beaucaire

14-05-2014 à 11:57:12

Les structures culturelles quittent la ville depuis l’arrivée à la mairie de Julien Sanchez, qui prévient qu’il attribuera ses subventions à «celles qui méritent».

Soleil trompeur sur Beaucaire. En ce jour de marché, qualifié voilà peu de «souk» par le nouveau maire FN de la ville, les conversations ont la légèreté des pollens dans l’air. Pourtant, la cité du Gard de 16 000 habitants retient son souffle. Le 30 mars, Julien Sanchez, 30 ans, s’est installé à la mairie avec 39,8% des suffrages, par le biais d’une quadrangulaire. Il a dû traverser le Rhône pour fêter sa victoire à Tarascon, tant les esprits étaient échauffés sur la place de l’hôtel de ville (deux voitures et des poubelles brûlées).

Dès le lendemain, la commune belge de Farciennes a annulé son jumelage. Le réputé Positiv Festival consacré à l’electro qui se tenait dans les arènes a annoncé son retrait. D’autres associations locales ont réuni en urgence leur conseil d’administration : elles hésitent entre boycott, retrait et crainte de pénaliser la population. Et redoutent par-dessus tout d’être l’un des éléments d’ornement de la nouvelle vitrine de respectabilité du FN.

«Insidieuse». Ludovic Duplissy, directeur d’école et responsable de l’association les Têtes à clap, a décidé de transférer son festival de cinéma à Tarascon. Il renonce aux 15 000 euros de subvention de la ville, qui servaient aussi tout au long de l’année à favoriser le cinéma scolaire et familial. «Mais nous poursuivons nos activités sans lien avec cette municipalité, précise-t-il. Nous trouverons d’autres financements pour ne léser ni les enfants ni la population.» Les Chevaliers du fiel, attendus en juillet, ne veulent plus venir. La Ligue de l’enseignement, qui proposait depuis dix ans un festival associatif de théâtre, «rompt toutes relations avec la ville de Beaucaire». Selon son président dans le Gard, «ces gens avancent désormais de manière masquée, insidieuse, mais leurs idées sont les mêmes».

Dans son immense bureau de l’hôtel de ville, Julien Sanchez, en plein préparatifs d’un budget auquel il n’était pas préparé, minimise cette avalanche de départs. «Parfait, cela fera des économies pour une ville surendettée. Mais si d’autres veulent venir, ils sont bienvenus, à condition de ne pas troubler l’ordre public», dit-il.

Affable, calme et usant d’un vocabulaire lissé à l’extrême, ce bébé frontiste biberonné depuis quinze ans par la famille Le Pen est l’un des cadres les plus idéologiquement structuré du parti. Patron de la fédération du Gard, stratège de la com pour Marine Le Pen, ancien blogueur pour le compte de Jean-Marie Le Pen, il vient de quitter ses responsabilités nationales au FN pour se consacrer à «Beaucaire ville française» et ses 20% de chômeurs.

Sa méthode ? Désarmer ses détracteurs en jouant l’apaisement, se donner du temps et commencer à poser des marqueurs politiques. «Si j’étais un maire con, je supprimerais tout ! On ne va pas couper dans les subventions des associations cette année, mais on évaluera pour donner à celles qui méritent l’an prochain», prévient-il. La police municipale verra «au plus vite» ses effectifs passer de 13 à 25 «pour travailler de nuit aux mêmes heures que la délinquance».

Aucune rue ne sera débaptisée pour l’heure. Mais le maire veut «vite redonner son caractère provençal à la ville en préemptant des locaux vides et en réservant des places de marché aux artisans et commerces traditionnels». Dans son collimateur : «les commerces communautaires», comme il dit pour désigner les kebabs, «trop nombreux». A la cantine, «aucun menu communautaire». Un protocole sera passé avant les mariages pour interdire la sortie de drapeaux étrangers. Quant aux youyous lancés lors de sa première cérémonie - et qui lui sont, pas de chance, «insupportables de manière auditive» -, «on ne va quand même pas mettre un sparadrap sur la bouche des gens».

«Conneries». Habitée principalement par une population d’origine immigrée, la vieille ville, au patrimoine architectural exceptionnel, est paupérisée, avec ses dizaines de boutiques fermées et ses cafés déserts. A la boucherie Al Hoda comme chez Atlas Coiffure, les mots sont les mêmes parmi les clients : «On va voir, il faut rester attentifs…» D’autres disent que «des jeunes ont fait trop de conneries, alors c’est comme au foot : ils ont perdu et c’est normal d’avoir un maire FN».

Au Café des parents, structure parapublique où se retrouvent principalement des mères pour échanger et s’entraider avec l’accompagnement d’une médiatrice, l’heure est à l’inquiétude. «On sait très bien que le FN ne fait ni dans le social ni dans la mixité culturelle. Ici, on fait en plus de l’intergénérationnel… Que va devenir ce lieu prêté et en partie financé par la mairie ?» se demande Hana, grand-mère venue ce matin avec sa fille. Julien Sanchez prévient : «On m’a dit du mal de cette structure, mais je n’ai pas d’a priori. Ça ne coûte que 4 500 euros par an à la ville. Alors on va voir pour cette année. Après, il faudra bien faire des économies sur tout.» Le costume de gestionnaire, nouvel outil idéologique du frontisme municipal.
Antoine GUIRAL Envoyé spécial à Beaucaire (Gard)

Antoine GUIRAL Envoyé spécial à Beaucaire (Gard) Pour Liberation